« J’ai mis longtemps à me savoir méditerranéenne. Ah, bien sûr, dans ma jeunesse, me voyant très brune et hâlée, on me demandait souvent d’où je venais. Messieurs-Dames, répondais-je quelques fois, je viens d’une mer. Je ne suis toujours pas certaine que la Méditerranée soit une véritable origine – je veux dire me concernant, moi, personnellement, plus que n’importe quel Européen ou n’importe quel habitant de la rive nord de l’Afrique. Ce qu’on n’a pas mémorisé s’est-il déposé en nous ? Comme l’affirme un de mes adages favoris, si l’on voit à peu près ce que sera l’avenir, en revanche on ne sait pas ce que le passé nous réserve.
Ainsi l’origine est-elle souvent “ à venir ”.

Sicile, Corse, Tunisie, Marseille – ma famille a sillonné la Méditerranée pendant un siècle. J’ai passé ma nuit au Mucem pour explorer cette partie de mon identité qui me fait aimer la France comme un pays choisi.

Mais en écrivant, les fantômes sont montés. Ils m’avaient laissée tranquille jusque-là, flous, indistincts, impensés – ma mère mélancolique qui m’a donné le silence comme langue maternelle, ma grand-mère, morte à Gabès pendant la guerre, que je n’avais jamais appelée que la « mère de ma mère »… Ils sont revenus.
Même ma mère vivante – revenante. Ils se sont mêlés à la mer, au souvenir du soleil, aux sirènes et aux reflets. Et j’ai compris une autre partie de mes origines. »

L’AUTEURE :

Belinda Cannone est romancière et essayiste. Elle est notamment l’autrice, chez Stock, des essais La Tentation de Pénélope. Une nouvelle voie pour le féminisme (2010), S’émerveiller (2017), du Nouveau Nom de l’amour (2020) et d’un recueil de nouvelles, Les Vulnérables (2024).